E
n général, lorsqu'on aborde la question de la productivité, la foule des designers s'éloigne à petits pas. "Laissons la productivité et les process aux ingénieurs et aux chefs de projets…" pensent-ils. "Nous, les designers, n'avons pas vraiment besoin de nous soucier de ces choses-là. D'ailleurs, la productivité interfère avec la créativité, n'est-ce pas…?" pensent-ils encore. Dans cet article, nous montrerons qu'en réalité, en accroissant la productivité, on accroit également la créativité, que les problèmes sont résolus, que le design final est de meilleure qualité.
L'application et le bug
Quel architecte d'information ou designer d'interaction ne s'est jamais trouvé face un projet entièrement bloqué, emmêlé avec l'équipe dans des discussions sans fin à propos de quelques requêtes incongrues provenant du client? Quel client n'a jamais essayé de faire entrer aux forceps dans un projet une autre des ces "super fonctionnalités qu'il a découvert sur le web la semaine dernière" alors que l'équipe discute de la finalisation du processus de transaction ? Pour exemple, voici deux situations de ce qui se produit généralement lorsque la question de la productivité n'est pas assez considérée:
— Votre client : "Le week-end dernier, mon petit fils m'a fait découvrir ce superbe site web…"
— Vous : "…*!?:-/"
Situation 1: l'Application
Le projet est relativement simple : il s'agit de la refonte d'un site corporate d'information, en grande partie statique. Le budget est relativement restreint. Vous avez travaillé pendant un mois pour aboutir à une solution d'architecture élégante et fonctionnelle. Chaque semaine, vous avez partagé les avancées de vos travaux avec le client. Aujourd'hui, vous présentez une version finale des wireframes durant une réunion qui réunit toute l'équipe. Et au beau milieu de la réunion, un des membres de l'équipe client déclare que tous les documents PDF doivent pouvoir être affichés en plein écran dans un lecteur dédié, "comme celui de Slideshare, avec le système de chapitrage…" ajoute-t-il. Votre champs de vision de réduit soudainement, votre machoire se crispe, vous ne respirez plus que très superficiellement et vous pensez : "Quoi ?! Ça, c'est au moins 5 jours de réorganisation et de design, en plus du fait que ça n'a AUCUN intérêt pour un site comme le leur !", tandis que le reste de l'équipe pense que VOUS auriez dû proposer la fonctionnalité de prime abord..
Situation 2: Le Bug
Cela fait deux mois que vous travaillez sur une plate-forme complexe de e-commerce qui a besoin d'être entièrement revue. La solution existante est inutilement compliquée, particulièrement en ce qui concerne le processus de transaction qui perdrait l'utilisateur le plus dévoué. La solution que vous avez conçue fonctionne bien. Elle est simple, rapide, souple et élégante. Vous avez documenté la solution avec des parcours utilisateur hautement détaillés. Vous présentez la version finale au consultant technique du client qui découvre votre travail pour la première fois (il a été notablement absent de toutes les réunions précédentes…) Soudain, il déclare que "permettre un processus de transaction sans rendre la création d'un compte client obligatoire n'est pas une bonne pratique. Le processus doit donc être modifié." Votre cou se raidit, vous avez la bouche sèche, une pierre dans l'estomac et vous pensez: "Quoi ?! Comment peut-il dire quelque chose comme ça ?! Il connait à peine les détails du projet ! Le processus de transaction va perdre toute sa fluidité !"
Organisons-nous !
Que se passe-t-il en réalité dans ces situations ? Et que pouvez-vous changer ? Le point commun qui réside dans les deux cas précédents est le manque de définition d'une des phases de démarrage du projet. Les objectifs et la stratégie n'ont pas été suffisamment clarifiée, l'audit de contenu que vous aviez établi a été en grande partie ignoré, le périmètre fonctionnel est incomplet, personne n'est capable de dire si la génération d'idées a été suffisament poussée…
La plupart du temps, vous-même ou une personne de votre équipe arrive avec une solution du type "Nous devons nous ORGANISER !" Oui, c'est sûr. Mais qu'est-ce que cela signifie réellement "S'organiser" ? En fait, ce que nous faisons naturellement dans ces situations c'est rechercher à remonter en amont. De façon instinctive, nous sentons que la solution ne viendra que si nous établissons une vue plus large du problème. Quels sont les besoins des utilisateurs ? Que disent les personas à propos des usages ? Quel est la stratégie de communication ? Quels sont les objectfis fondamentaux de la plate-forme de service ? Avons-nous considéré TOUTES les options, toutes les idées ? Dans ces situations, nous recherchons naturellement une vue plus élevée et c'est ce que nous pouvons faire de mieux.
La vue horizontale et la vue verticale
Les designers ont les outils pour développer une vue verticale de l'organisation.
Les architectes d'information sont de bons organisateurs. C'est pratiquement leur description de poste, d'ailleurs : "Efficace et organisé, ayant des facilités pour gérer les architectures complexes…" Nous autres, architectes d'information, adorons l'organisation, juste pour la beauté du geste. Pour le sens commun, organisation est synonyme de contrôle. Nous utilisons des méthodes et des outils qui nous permettent d'être sûr que nous avons le plus grand contrôle possible sur le projet: planning, workflow, liste et gestionnaire de tâches, espaces collaboratifs, etc. Tous ces outils sont parfaits pour prendre contrôle d'un projet. Nous plannifions à l'avance, nous ne sommes jamais en retard, nous vérifions toutes nos tâches et nos status, nous organisons conférences et réunions pour tous nos projets en cours. Nous nous sentons bien… jusqu'à ce que quelque chose coince.
La pratique du contrôle peut être comparée à une ligne horizontale. Tel un joueur de tennis, nous nous déplaçons rapidement de gauche à droite et d'avant en arrière, pour atteindre à chaque fois la balle. Toutefois, un joueur de tennis ne peut jamais s'élever à 50 m au-dessus du court, de façon à obtenir la "Big Picture", la vue d'ensemble de la partie. Nous autres, designers, avons les moyens et les outils pour, dans le cadre d'un projet, développer une pratique verticale de l'organisation, une pratique qui consiste naturellement à obtenir une vue plus élevée de nos actions, quelque chose qui nous tienne bien au-dessus du niveau du sol, qui nous permette de ne pas nous retrouver coincés au beau milieu d'un projet.
Le modèle de Planification Naturelle
"Nous sommes déjà familier avec l'organisateur le plus brillant et le plus créatif qui soit: notre cerveau."
David Allen
Pendant 20 ans, David Allen, l'un des spécialiste de la productivité les plus influents de notre époque et auteur du best-seller "Getting Things Done" (traduit maladroitement en français sous le titre "S'organiser pour réussir"), a développé une méthode de performance sans stress pour le travail et la vie quotidienne qui s'est imposée à des dizaines de milliers de personnes à travers le monde. David Allen affirme "qu'il est possible pour une personne ayant une quantité astronomique de choses à faire de continuer à fonctionner de façon productive tout en conservant les idées claires et un sens positif du contrôle et du relachement." Pour tous les praticiens de la méthode, la GTD (accronyme tiré de "Getting Things Done") provoque un changement majeur. La découverte du processus qui consiste à se "vider régulièrement la tête" de toutes ses pensées sans fin — et qui, dans le cas contraire, ne trouvent jamais de solution — accroit immédiatement notre efficacité, sans que nous perdions pour autant l'opportunité d'idées utiles.
Au sein de cette méthode de productivité globale qu'est la GTD, David Allen a créé un modèle qui donne à nos actions une perspective verticale, une façon productive d'envisager projets et situations. Par une chance extraordinaire, il se trouve que cela correspond également à la façon naturelle dont nous pensons et plannifions les choses lorsque nous démarrons un projet, que ce soit le fait d'acheter un nouveau vélo, faisons le design d'un site web ou investissons dans une startup. David Allen déclare :" Nous sommes déjà familier avec l'organisateur le plus brillant et le plus créatif qui soit: notre cerveau." De fait, le modèle de Planification Naturelle est construit sur la manière dont nous fonctionnons naturellement.
Les 5 niveaux du modèle de Planification Naturelle
1. Définir les buts et les principes
Définir les but consiste à se poser la question "Pourquoi ?" Pourquoi sommes-nous en train de redesigner ce site web ? Pourquoi avons-nous cette réunion aujourd'hui ? A ce niveau, il est crucial de définir les raisons fondamentales des actions qui constituent le projet et les principes qui le soutendent.
Outils adaptés à cette phase :
- Rapport d'audit
- Définition des prérequis (fonctionnel, technique, contenu…)
- Personas
2. Visualiser les résultats attendus
Pour avancer avec efficacité dans un projet sur lequel nous nous sommes engagés, nous avons besoin de construire une vision claire de l'ensemble. Cette étapeg correspond à la question "Qu'est ce qu'est ?" Quelle est la forme générale de la plate-forme ? Quelle est l'expérience proposée à l'utilisateur ? Ce niveau requiert vitesse et agilité de façon à pouvoir créer une visualisation des résultats sur une courte période de temps.
Outils adaptés à cette phase :
- Techniques de croquis
- Modèles conceptuels
- Design de concept
- Carte d'expérience
3. Générer des idées
Prendre une décision sans connaître toutes les options qui se présentent à nous produit en général un sentiment de frustration et d'incertitude. Sur ce niveau de la planification naturelle, on doit s'évertuer à générer le plus d'idées possibles. C'est seulement lorsque vous avez soulevé toutes les possibilités que vous vous trouvez en position de prendre des décisions claires et sûres.
Outils adaptés à cette phase :
- Techniques de brainstorming
- Ateliers, focus groups…
- Tri de cartes, mindmapping
- Benchmarks
4. Organiser
En générant assez d'idées lors de la phase précédente, vous verrez émerger une organisation. Vous remarquerez l'existence de groupes, de relations, de catégories et de structures pré-existantes. C'est le niveau sur lequel vous devrez communiquez l'organisation au client; il est donc crucial de concevoir une organisation qui parle d'elle-même.
Outils adaptés à cette phase :
- Framework fonctionnel
- Diagrammes de la stratégie des contenus
- Schémas logiques
- Arborescences, wreframes…
5. Identifier les prochaines actions
C'est le moment où vous devrez décider et identifier "Qui fait quoi et pour quand ?" pour chaque partie du projet. Si des questions restent sans réponse, il est probablement nécessaire de revenir quelques pas en arrière, vers l'un des niveaux supérieur du modèle de planification.
Outils adaptés à cette phase :
- Liste des éléments actionables
- Délégation des tâches
- Réunions-ateliers Scrum
Le Flux de la Planification Naturelle
La planification naturelle est un flux, la combinaison d'une pensée descedante et d'une pensée ascendante. Lorsque vous rencontrerez une situation compliquée (des prérequis mal formulés, une organisation de contenue floue, une stratégie vague…), vous remonterez ou descendrez naturellement dans le flux de façon :
- soit à acquérir une vue plus large (définir les objectifs, visualiser les résultats),
- soit à vérifier vos options dans le détail (organisation, identifier les prochaines actions).
La planification naturelle est une pratique, comme le yoga. Plus vous en faites, plus vous progressez. C'est une façon de devenir plus agile, plus souple et plus rapide pour définir les solutions créatives: définir un meilleur périmètre de travail (objectifs, principes et vision), générer plus d'options (génération d'idées), être plus convaincant face à votre équipe et vos clients (organisation) et avancer plus vite dans la production (identifier les prochaines actions).
Ressources pour aller plus loin
• "Getting Things Done" sur Amazon.com (EN)
• "S'organiser pour réussir" sur Amazon.fr (FR)
• Article sur Wikipedia (FR): La GTD, l'art de la productivité sans stress
• Site web officiel de David Allen Company
• Blog officiel de la GTD
• Passionnante mini-conférence de David Allen - Google Talk (EN)
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